Auparavant un duo, P.H.O.B.O.S. n'est désormais plus que le projet d'un seul homme. Le restera-t-il ? Des concerts sont-ils envisageables ?

Depuis ses débuts, P.H.O.B.O.S. est une démarche que j'ai tenté de partager avec des collaborateurs, en vain. Certains fondamentaux n'ont jamais pu être atteints. Beaucoup de musiciens se croient ouverts, mais sont encore prisonniers des schémas rock'n'roll ou métal: image incassable du groupe, soumission à des règles d'écriture, passage obligé par la scène, etc. au détriment du temps dédié à la recherche sonore pour une création intimiste et sans limites. Ma conception de la musique est trop décalée pour fonctionner en collectif et être transposée en live. Il s'agit d'explorer et de proposer mes compositions pour une écoute solitaire à fort volume, pas de sortir des disques pour partir en tournée. Dans le cadre de P.H.O.B.O.S., donner la musique en spectacle ne m'intéresse pas.

Comment es-tu entré en contact avec Blut Aus Nord, comment c'est passé la signature sur Appease Me ?

A l'époque où je recherchais un bassiste, j'avais collaboré brièvement avec un membre de Blut Aus Nord, grâce à un contact commun. Suite à l'écoute d'une version de travail de 'Tectonics', et sur des considérations purement artistiques, il me proposa de signer chez Appease Me. BAN avait rejoint Candlelight/PHD, qui prenait aussi en charge leur label en termes de promotion et de distribution. Une offre unique, malgré mes nombreuses prospections, que je ne pouvais refuser, conscient de l'aspect commercialement incorrect de P.H.O.B.O.S. Sans oublier l'approche avant-gardiste et élitiste du label, à laquelle j'adhère totalement.

Le nom du projet est-il directement inspiré du titre de l'album de Voïvod ?

On me fait souvent cette remarque alors qu'avant d'être utilisé comme titre d'album, le nom 'Phobos' possède déjà plusieurs significations, suivant qu'on ait des notions de mythologie grecque, d'astronomie ou encore de psychanalyse. P.H.O.B.O.S. est l'abréviation d'une expression que je tiens à garder secrète.

L'influence Godflesh est flagrante, mais on sent aussi des affinités avec l'industriel bruitiste, le doom. Peut-on dire que la musique de P.H.O.B.O.S. se situe à la croisée de ces influences ?

La lourdeur poussée de ma musique évoque effectivement les formes extrêmes du doom, de même que certaines sonorités proviennent des côtés harsh et noise de l'industriel. Mais plus largement, je puise autant dans les musiques dites saturées (du rock au black) que dans l'électronique (dub, darkwave, EBM, techno, etc.). P.H.O.B.O.S. constitue un assemblage d'éléments à la fois lents, sombres et dis-harmonieux de ces influences. Un processus naturel, car je n'envisage pas la musique comme style ou technique, mais simplement comme sons et rythmes.

Pourquoi le choix d'une musique si résolument anticonformiste ? Que veux tu faire passer (sentiments, idées) au travers de ta musique ?

Anticonformiste, mais pas dans le but d'être différent en mélangeant n'importe quoi n'importe comment. P.H.O.B.O.S. est un rejet de la théorie, des académismes et des traditions musicales. Parce-que l'art qui m'interpelle et que je crée doit briser certaines convictions, voire me déstabiliser, tout en me transportant vers l'inconnu. Des états atteints après un travail sur la distorsion et la dissonance. Les textes, correspondant à des idées précises dans mon esprit, sont suffisamment évasifs et rares pour laisser fonctionner l'imagination de l'auditeur. Dans ce sens, je me sens plus proche des scènes industrielles, aussi bien dans ma façon d'utiliser les outils que dans l'effet escompté.

Pourquoi ce rapport à la terre, la lave etc.? Parce qu'elles évoquent une puissance massive, énorme ?

Par une récurrence de sonorités graves et chaotiques lors du peaufinage sonore de 'Tectonics', des éléments géologiques ont (re)surgi. Etre né et avoir grandi sur une île volcanique active a joué un rôle inconscient mais primordial dans le son de l'album. Il ne s'agit pas d'un gimmick calculé pour monter un concept, mais de ressenti. La thématique de destruction de l'homme par l'homme, par les machines, ou par un quelconque dieu, me paraît mineure et usée, face à la perspective des profondeurs terrestres libérant leur puissance sur le vivant, sous des attraits ravageurs comme le magma ou le feu.

De quels groupes actuels te sens-tu le plus proche ?

Je suis quelquefois en contact avec les gens de Halo, Bunkur, Blut Aus Nord. Des artistes dont j'apprécie le travail radical et innovant, et qui possèdent paradoxalement des goûts éclectiques et une culture large, au-delà du monde du métal extrême dans lequel on les confine.

On observe un certain engouement (relatif, évidemment) pour les musiques drone, doom, bruitistes. Comment expliquerais-tu cela ?

Le doom d'inspiration sabbathienne a toujours bénéficié d'une certaine audience au sein de l'underground. On assiste depuis quelques années à son évolution vers des formes plus hermétiques, se rapprochant musicalement et conceptuellement de l'industriel, du minimalisme drone ou ambient, ou se ressourçant dans le black. L'enthousiasme actuel pour ces extensions me laisse toutefois perplexe: Il y a une quinzaine d'années des pionniers comme Earth, Godflesh, ou, plus en arrière, Charlemagne Palestine, œuvraient dans l'indifférence quasi générale, tandis qu'aujourd'hui il semble de bon ton d'écouter Jesu ou Sunn O))). Réelle passion, ou occasion supplémentaire de faire "in" tout en spéculant sur les éditions limitées ? J'aimerai croire qu'il s'agisse enfin de maturité et de curiosité pour la musique seule …

 

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